Le temps des souvenirs
La délivrance. Une main qui recouvre le carnet de souvenirs, l’autre qui serre la tasse de thé encore chaude. Le crayon est posé à côté sur le lit, comme un symbole de l’histoire qui vient de s’écrire et qui se termine.
Le dos est appuyé contre le mur, les jambes sont étendues sur le drap blanc. Le visage semble exprimer une certaine nostalgie. Le regard paraît dans le vague, comme tourné vers l’intérieur, cherchant à établir une connexion avec les évènements passés.
Je pourrais être à la place de cette femme, mais mon carnet est encore légèrement entre-ouvert. L’histoire n’est pas tout à fait terminée, il me reste quelques lignes à écrire avant de pouvoir profiter moi aussi de ce moment.
Toutes ces années à écumer les bars et les salles de cinéma de la capitale. Les nombreuses soirées Poker dans un minuscule appartement du XVIe arrondissement à deux pas de la Tour Eiffel. On se retrouvait tous les jeudis avec d’autres amis de la clique. De la musique, du whisky, des rires et des jetons qui claquaient à chaque tour de table. Des moments inoubliables entre copains.
Pour ce dernier soir à Paris, nous avons bu un verre ici, puis un autre là bas. Nous avons mangé un bout avant de repartir un peu plus loin trinquer à nouveau pour l’occasion. Un peu plus tard sur le chemin du retour, nous sommes passés devant l’entrée d’une petite cour intérieure au bout de laquelle se cachait un autre lieu de fête comme Paris en a le secret.
Nous y avons passé un petit moment avant de rentrer chacun de notre côté, nous souhaitant bonne continuation avec la promesse de nous revoir prochainement. Je suis sûr que nos routes se croiserons à nouveau.
Paris, je ne t’ai jamais vraiment aimée le jour, mais j’étais fou de toi la nuit. Passée une certaine heure, ton charme prenait une toute autre dimension.
Paris, tes lumières, ton parfum, celui des filles qui sortent le soir pour s’évader après une dure journée de travail.
Paris, la Seine, ce fleuve qui te traverse. Les soirées romantiques à glisser sur tes eaux avec celle qui fut mon premier amour. Les nuits d’été à marcher dans tes rues main dans la main avec l’être aimé.
Paris, j’ai grandi à tes côtés, je suis même devenu adulte grâce à toi. Mais aujourd’hui, il est temps de te dire au revoir et de refermer cette page de notre histoire. Je te reverrai sans doute plus occasionnellement, mais je sais aussi que tu ne me manqueras pas.
Grandir près de toi m’a permis d’en apprendre beaucoup sur la vie, sur ma vie. Grâce à toi, j’ai peut-être trouvé enfin ma voie. Celle qui me donne des étoiles dans les yeux quand je pense à elle.
Ce n’est jamais très drôle de dire au revoir. Nous laissons derrière nous une famille et des gens que l’on aime. Ce soir, c’était le moment de dire au revoir à un autre ami parmi ceux qui comptent le plus. J’ai la gorge nouée. Écouter son cœur et prendre son destin en main demande beaucoup de courage. Mais la vie est ainsi faite : il y a les jolies rencontres, puis les séparations douloureuses.
Demain aura lieu la dernière étape avant le véritable envol. Je retrouverai ceux qui sont juste au dessus de moi dans l’arbre généalogique. Les émotions seront vives, forcément.
Et puis je finirai par refermer moi aussi mon carnet, emportant avec moi des dizaines d’années de souvenirs. Je me retrouverai alors comme la jeune femme sur la photo qui illustre cette histoire.
Enfin, je me tournerai doucement vers ma nouvelle vie, celle qui me tend les bras pour que je l’enlace de tout mon être.