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Mes compagnons de route

Je me souviens de toi, tu n’étais pas bien grand avec ton cadre orange et tes petits pneus blancs. Tu t’apprêtais à me faire découvrir le monde sous un autre angle. Toi, mon premier vélo.

Tu faisais de moi un vrai petit homme lorsque je parvenais à grimper l’interminable côte jusqu’au moulin. Je me revois écraser tes pédales avec fierté devant mon père qui me suivait et m’encourageait avec tout son amour.

C’était il y a bien longtemps, mais il me reste quelques souvenirs.

Je me souviens de toi, tu m’attendais sagement appuyé contre le mur de l’entrée de la maison, un soir de Noël.

Je devais avoir une dizaine d’années, et mon cœur avait battu très fort au moment où j’avais réalisé que tu étais là pour moi. Toi, mon premier VTT. J’écris ces lignes, et je ressens à nouveau ce que j’ai ressenti il y a plus de 20 ans. Des étoiles dans les yeux, des crépitements dans le ventre.

Tu m’emmenais partout, sur les routes de campagne, dans les chemins de traverse, au milieu des champs de blé et dans les bois. En été, nous allions à l’école ensemble et tu me ramenais à la maison. Tu venais avec moi à la piscine ou chez les copains qui habitaient dans les villages alentour.

Parfois tu étais joueur, comme quand tu décidais de faire sauter ta chaîne ou que tu venais coller les patins de tes freins contre ta roue pour me ralentir. Tu prenais un malin plaisir à décorer mes mollets de cambouis, comme si tu avais peur que nos aventures s’effacent trop rapidement de ma mémoire.

Il faut dire que je n’y allais pas toujours de main morte avec toi. En grandissant, c’était surtout ta roue arrière qui en voyait de toutes les couleurs.

Quand je te tirais par le guidon pour soulever ta roue avant dans un jeu d’équilibre digne des plus grands numéros de cirque, ou lorsque j’arrivais à tout berzingue sur les gravillons en serrant comme un malade ton frein arrière pour faire déraper ta roue dans un immense nuage de poussière.

J’ai mis du temps à me séparer de toi, tu faisais partie de moi, de ma vie, de mes souvenirs. Je ne t’oublierai jamais.

Je me souviens de toi, j’avais grandi et il fallait que je trouve une monture à ma taille pour aller encore plus loin, encore plus vite et profiter de cette liberté que la pratique du vélo peut offrir. Et puis tu es arrivé.

Avec moi, tu as voyagé dans toute la France. Tu as parcouru des centaines de kilomètres à l’intérieur des campings, gravi des cols de montagne, dévalé des pentes à plus de 60 km/h, traversé des forêts, franchi des ruisseaux.

Tu aimais bien lorsque tu te faisais tirer par le chien qui courrait devant toi comme un dératé. Dès que la laisse était accrochée à ton guidon, il partait comme une fusée et t’entraînait avec lui dans sa course folle. À certains moments, nous n’étions pas loin de finir dans le décor tous les trois, mais c’était tellement bon.

Avec toi, j’ai découvert des coins dont je n’aurais même pas soupçonné l’existence. À tes côtés, j’ai souri, j’ai ri, pleuré et sué jusqu’à l’épuisement. Mais surtout, grâce à toi, j’ai vécu des moments inoubliables.

Tes tubes en aciers résistaient à tous mes désirs, même les plus fous. Nous étions devenus inséparables.

Je me souviens de toi, c’était pendant l’été 2013. Je traversais une période difficile et il fallait que je trouve un moyen de m’évader. J’avais fini par aller te chercher dans ce magasin. C’était un peu serré dans la voiture et tu avais dû te priver de ta roue avant le temps du voyage jusqu’à la maison.

Aussitôt arrivé, nous étions partis tous les deux pour une promenade de quelques heures. J’étais heureux perché sur ta selle, et toi tu étais beau avec ton cadre blanc et vert. Nous avions fait une pause et je t’avais pris en photo pour immortaliser la scène.

Avec toi, je parvenais de nouveau à respirer. Tu étais différent de tous ceux que j’avais connus auparavant. Notre relation était différente, aussi.

Aujourd’hui, ce n’est plus moi qui te monte dessus. Mon père a pris le relais et cette fois, c’est moi qui l’encourage, avec tout mon amour.

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