Quelques pensées sur nos rapports avec les nouvelles technologies et l’avenir de l’humanité
L’impensable s’est produit pendant le dernier week-end du mois de juin. Je rendais visite à un ami dans Les Landes. Un besoin de prendre l’air. L’odeur des pins me manquait et j’avais promis que je passerais voir l’océan avant de le retrouver plus longuement à la rentrée.
À cette période de l’année, les touristes n’ont pas encore vraiment envahi la région et il est encore possible de profiter un peu des plages et du calme de la côte. Il fait déjà chaud, mais l’air est respirable car il y a toujours un peu de vent.
Pendant ce court séjour, j’ai eu l’occasion de faire des rencontres. Des amis d’amis, des locaux comme disent les gens qui ne sont pas du coin. Des jeunes qui ont toujours le sourire et qui pour rien au monde ne quitteraient leur petite Californie française.
N’ayons pas peur de le dire, ce petit coin de paradis avec ses forêts de pins, ses longues plages de sable fin et ses spots de surf de renommée mondiale, n’a rien à envier à la côte californienne.
La journée du samedi s’apprêtait donc à toucher à sa fin. J’étais content d’être arrivé après avoir traversé presque toute la France depuis mon départ le matin.
Il devait être 20h ou 21h je ne sais plus vraiment. C’est à ce moment là que j’ai vécu quelque chose d’absolument incroyable. Alors que l’on se demandait comment nous allions passer la soirée, mon ami de longue date a fait quelque chose que je n’avais plus observé depuis une éternité.
Je vous assure que ce que je vais vous raconter est vrai, puisque je l’ai vu de mes propres yeux :
Téléphone en main, j’ai vu mon ami tapoter rapidement sur l’écran avant de porter l’appareil à son oreille. Il a ensuite échangé quelques mots avec une personne à l’autre bout du fil avant de raccrocher tout sourire. J’ai vite compris qu’il venait de se mettre d’accord sur le lieu où nous allions nous retrouver quelques minutes plus tard pour passer la soirée.
Vous imaginez un peu la scène ? Incroyable non ? Je n’en revenais pas, des jeunes qui se parlent au téléphone pour organiser une soirée, en 2017.
Comment peut-on en arriver là ? Comment cette scène a pu se produire alors qu’il est très facile aujourd’hui de créer un évènement sur Facebook pour inviter nos amis en quelques clics, sans échanger un seul mot ?
Bon, je pense que vous avez à peu près compris où je voulais en venir.
J’aurais pu simplement rentrer de week-end et reprendre le cours de ma vie. Il ne s’est rien passé d’extraordinaire finalement. Sauf que j’avais à peine posé mon sac que Le Monde publiait la nouvelle : Facebook venait de franchir le cap des deux milliards d’utilisateurs.
Lire une telle chose après les moments que je venais de vivre, c’était trop pour moi. Il fallait que j’écrive.
Esprits libres
Cette soirée sur la côte Atlantique était super, comme celle du lendemain d’ailleurs. Nous nous sommes retrouvés tous ensemble. Nous avons fait connaissance, échangé quelques bières en riant et en parlant de choses et d’autres.
Sauf que pour ces soirées là, ce n’est pas Facebook qui nous a réunis, ce sont les liens d’amitié qui existent entre nous, pour de vrai. Il n’est pas question de technologie dans cette histoire, mais de relations humaines.
Il n’y a pas eu besoin de faire un choix difficile entre les J’y vais, les Peut-êtreou les Je n’y vais pas des évènements de la maison Zuckerberg. Il n’y a pas eu de remarque sur celui ou celle qui a cliqué sur J’y vais et qui finalement n’a pas montré signe de vie de la soirée.
Il n’y a pas eu de pouces en l’air, de smileys ou de commentaires inutiles entourant ces moments de vie. Aucune interface ne s’est glissée entre nous avant, pendant et après ces moments que nous avons passé ensemble.
Il a suffit d’un coup de téléphone, de quelques messages échangés, et nous nous sommes retrouvés pour profiter du week-end.
J’ai eu le sentiment ce week-end là de retrouver des personnes qui ont réussi à se tenir à distance de la gangrène Facebook qui continue pourtant sa lente et douloureuse progression.
Une gangrène qui appauvrie, détruit et déshumanise, quoi qu’on en dise.
J’ai rencontré des hommes et des femmes qui possèdent encore une part d’humanité et qui semblent avoir une autre approche des nouvelles technologies. Une approche plus raisonnée, et raisonnable. Une attitude plus détachée aussi.
Est-ce dû à la qualité de vie dans la région et à l’environnement, peut-être bien. Il est plus facile de se rapprocher de la nature lorsqu’elle vous est offert sur un plateau, juste sous vos yeux.
Cette dépendance à Facebook et aux réseaux sociaux serait-elle plus accentuée dans les grandes villes où règne l’ère de la consommation, où tout se fait et se vit à cent à l’heure ? Possible, sûrement même. Je pense que la manière de vivre a son importance dans l’équation.
C’est sans doute pour cela que je respire mieux lorsque je m’éloigne de l’agitation urbaine. Je retrouve une part d’humanité à laquelle je suis bien plus sensible.
Et surtout, je vis des instants qui me semblent vrais, avec des gens qui me regardent dans les yeux et qui m’écoutent quand je leur parle. Et non pas des personnes qui prêtent à peine attention à ce que je dis parce qu’ils sont préoccupés par les notifications incessantes de leur téléphone intelligent.
Installez-vous 5 minutes à la terrasse d’un café à Paris, vous verrez. Observez les gens qui arrivent, ceux qui sont déjà autour des tables. Les téléphones intelligents sont toujours visibles. Certaines personnes ne se parlent pas, voir ne se regardent même pas alors qu’elles sont assises l’une en face de l’autre. Elles ont les yeux rivés sur l’écran de leur smartphone. Triste. Désespérant.
Combien en reste-t-il des humains avec l’esprit vraiment libre comme ceux que j’ai rencontré près de l’océan ? Des personnes qui voient le monde en direct, comme il est au naturel ?
Facebook et l’avenir de l’humanité
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, Facebook ne fait pas de ses utilisateurs des personnes libres de choisir. Facebook n’est pas une merveilleuse entreprise au service des ses utilisateurs.
Si vous pensez que paramétrer votre compte vous permettra de maîtriser ce que vous voyez sur votre fil d’actualités, vous vous mettez le doigt dans l’oeil. Ceux qui sont aux commandes n’ont absolument aucun intérêt à ce que vous puissiez contrôler quoi que ce soit.
Le but est toujours le même, vous faire rester le plus longtemps possible sur l’application. Et pour parvenir à cela, Facebook ne va sûrement pas vous laisser la liberté de choisir. C’est lui qui tient les rênes. C’est lui qui décide, pas vous.
“Nous en sommes arrivés à une industrie de la persuasion à grande échelle, qui définit le comportement de milliards de gens chaque jour”
— James Williams
Annabelle Laurent a publié un billet très intéressant pour Usbek & Rica où il est question de Facebook, d’attention et de technologies de l’information.
Elle a eu l’occasion de rencontrer James Williams, un ancien employé de chez Google qui s’est associé avec Tristan Harris pour imaginer un futur où conception numérique rimerait avec liberté de choisir.
Ex-employé de chez Google, où il a travaillé pendant dix ans sur la définition de la stratégie publicitaire de l’entreprise, James Williams est devenu aujourd’hui le chantre de l’« ethics by design ».
D’après lui, l’ensemble des devices et des plateformes technologiques que nous utilisons chaque jour sont conçus pour contrôler notre attention. Et il est grand temps de remettre en question cette approche de la conception numérique pour inventer des alternatives durables et respectant notre liberté de choix.
Si vous lisez l’article, vous verrez que James Williams laisse filer une pointe d’optimisme concernant la névrose en cours qui touche l’univers des technologies de l’information.
Il paraît que la prise de conscience naissante (la France est selon Williams l’une des nations qui se montre la plus critique voir méfiante envers les modèles actuels) du pouvoir et de la nuisance que peuvent avoir les GAFAsur nos sociétéspourrait à terme avoir une influence sur leur comportement et leur manière d’agir. Croisons les doigts !
Même si la tâche s’avère particulièrement ardue, je pense en effet que des âmes repenties comme celles de James Williams et Tristan Harris peuvent réellement contribuer à cette prise de conscience et tenter à terme d’endiguer cette dangereuse descente aux enfers dans laquelle nous entraînent ces réseaux tentaculaires, Facebook en tête.
Soyons sérieux deux minutes, nous pouvons tout à fait nous passer de Facebook et faire tout ce que nous avons envie de faire sans avoir besoin de se connecter au réseau.
Prenons un peu de recul et de hauteur, pour notre santé à tous, et pour l’avenir de l’humanité. Je pense que c’est nécessaire.
Comment choisissons-nous de vivre notre vie ? À travers un écran, derrière un filtre Instagram, sur un fil Facebook qui se déroule à l’infini, ou alors avec notre propre regard, le coeur ouvert sur le monde, proche de la nature et de ce qui est vrai ?
Ne laissons pas ces entreprises diriger nos vies comme elles sont en train de le faire. Le pire, c’est que la plupart d’entre-nous ont l’impression de rester les maîtres du jeu. Nous pensons avoir le contrôle sur l’utilisation que nous faisons des nouvelles technologies, mais c’est faux. En avoir conscience, c’est déjà un pas de géant vers la liberté.
Faisons en sorte que l’avenir de l’humanité soit entre nos petites mains, pas entre celles de Mark et de son réseau destructeur, ni de qui que ce soit d’autre d’ailleurs.
Et puis si nous voulons avoir des nouvelles de nos amis, parlons-leur de vive voix, ou écrivons-leur. C’est plus agréable, c’est plus simple, et c’est plus humain.