Et si pour une fois on faisait abstraction de ce flot continu d’images qui nous inondent au quotidien en portant plutôt notre attention sur les mots et les sons qui nous entourent ?
Dans un monde où l’image est omniprésente et emporte tout sur son passage, il est parfois bon d’allumer son poste de radio et de laisser son esprit vagabonder simplement à l’écoute du son. La radio apaise, la radio transporte, juste avec des mots.
L’écriture de cet article m’est venue à l’esprit en écoutant l’Humeur Vagabonde présentée à 20h sur France Inter par Kathleen Evin. Une voix douce, mélodique, rassurante. Un thème profond qui introduit l’émission, Finding Beauty de Craig Armstrong. Une émission culturelle qui nous emmène à la rencontre de personnes fascinantes : des artistes, des écrivains, des cinéastes, des metteurs en scène…
J’ai choisi d’évoquer dans cette histoire toutes les voix qui me font vibrer sur France Inter depuis mon plus jeune âge.
Retour en arrière
J’ai grandi avec la radio. Aussi incroyable que cela puisse paraître, j’étais déjà au lycée lorsque la télévision a fait son apparition pour la première fois chez mes parents. Je devais avoir 16 ou 17 ans à l’époque. Quand j’étais petit, il m’arrivait parfois de faire semblant d’avoir vu une émission de télévision ou un dessin animé lors des réunions quotidiennes dans la cours de récréation.
Imaginez un peu la réaction des galopins si je leur avais avoué : “Non j’ai pas vu, j’ai pas la télé !”. Je serais passé pour un extraterrestre venu d’une galaxie lointaine. C’est arrivé d’ailleurs, et c’était pas forcément très drôle sur le moment de ressembler à un petit bonhomme vert sorti de nulle part. Avec le recul maintenant, cela me fait sourire :
– Pourquoi t’a pas la télé ?
– Mais comment tu fais ?
– Tu fais quoi le soir ?
– Tes parents ils font quoi du coup chez toi ?
– Tu dois tellement t’ennuyer non ?
Le genre de questions auxquelles tu ne sais pas trop quoi répondre sur le moment…
J’ai mis beaucoup de temps à avouer l’impensable. Mes amis proches le savaient bien sûr. Mais les autres, ils n’auraient jamais pu penser une seule seconde qu’il n’y avait aucun écran à la maison. Ne pas avoir la télévision à l’époque, c’était la honte, c’était souvent synonyme de misère.
Alors que moi j’étais un enfant gâté, je ne manquais absolument de rien. C’était juste un choix volontaire et réfléchi de mes parents. Un choix que j’avais parfois du mal à comprendre étant plus jeune mais qui ne m’a finalement jamais posé problème en grandissant.
A la maison, la radio était donc la plupart du temps allumée. France Inter, France Culture, France Musique, FIP, TSF Jazz… Mon enfance a été bercée par le son. J’ai très vite été happé par la musique et l’envie de pratiquer un instrument est apparue très tôt.
J’ai commencé par une dizaine d’années de guitare, du classique puis du Jazz, et ce fut l’école d’ingénieur du son lors des études supérieures. Pas une seule journée ne se passait sans écouter de la musique. L’image, j’y avais droit lorsque j’allais chez les copains ou dans la famille les week-ends, lors de la visite hebdomadaire chez mes grands parents. Et finalement c’était très bien comme ça !
Ces voix de mon enfance
Je me souviens très bien lorsque mon père venait me chercher à l’école en voiture, le chemin du retour était souvent accompagné de là bas si j’y suis avec Daniel Mermet. Ces fameux messages laissés par les auditeurs sur le répondeur de l’émission, ces coups de colère, ces mots de tendresse aussi.
“Salut, c’est Daniel Mermet, Là bas si j’y suis…”
Des voyages aux quatre coins du monde, des grands reportages, une voix reconnaissable entre mille… Mon père aimait beaucoup écouter Daniel Mermet, moi j’écoutais toujours d’une oreille avec souvent beaucoup de plaisir. L’émission a été diffusée entre 1989 et 2014 et a obtenu de nombreux prix.
Le soir au moment du dîner, c’était l’émission maman les p’tis bateauxprésentée par Noëlle Bréham. Des questions souvent drôles et innocentes posées par des enfants de tout âges.
“Pourquoi quand on se chatouille tout seul, ça marche pas ?”
L’émission existe toujours aujourd’hui et il m’arrive encore de l’écouter. Il n’est pas rare de se poser les mêmes questions que les enfants, les spécialistes qui répondent nous en apprennent souvent plus que ce que l’on croit. Et puis parfois ça fait du bien de retomber en enfance…
Le vendredi soir était un moment très particulier de la semaine que j’attendais avec impatience… Il s’agit sans doute de la plus belle émission que j’ai pu écouter sur France Inter entre 1999 et 2004 : Ecoutez… des anges passent de Zoé Varier.
L’émission a été récompensée par le Prix Anima 4 2002 de la meilleure émission de programme-reportage et par le prix de la SCAM 2004. La journaliste allait à la rencontre de ces gens, seule avec son magnéto, réussissant à capter comme personne l’humanité dans chacune de ses rencontres, grâce à une qualité d’écoute exceptionnelle et une voix d’une douceur incroyable, une voix qui donne une envie irresistible de se confier… C’est l’une des émissions de radio que je regrette le plus.
“Pas d’image, je trouve que la parole se suffit… la parole dans son sens… les mots… la parole dans ses silence, dans ses hésitations, dans ce qu’on peut percevoir entre les mots…”
Zoé Varier évoque son métier avec amour dans cette interview enregistrée en 2011 : Zoé Varier, journaliste.
La journaliste anime ajourd’hui l’émission D’ici, d’ailleurs le vendredi à 20h05.
Le samedi midi nous avions toujours rendez vous avec Monsieur X et le journaliste Patrick Pesnot juste après le déjeuner, dans l’émission Rendez-vous avec X. J’ai toujours aimé les histoires policières et les affaires d’espionnage. Avec cette émission traitant des plus emblématiques histoires d’espionnage du XXème et XXIème siècle, le début du weekend était toujours passionnant ! Et puis le duo Patrick Pesnot / Monsieur X fonctionnait à merveille.
Suivant le programme du samedi après-midi, il pouvait m’arriver d’écouter l’émission sur l’environnement de Denis Cheissoux, CO2 mon amour, qui fête d’ailleurs ses 20 ans d’existence cette année. L’environnement, la science, l’avenir de la planète, les thèmes abordés dans cette émission sont toujours intéressants et surtout rendus accessibles à tous.
Et puis il y avait l’émission d’histoire de Patrice Gélinet, 2000 ans d’histoire, diffusée la semaine en début d’après-midi, entre 1999 et 2011. Un générique mythique, Light And Shadow de Vangélis. Une émission d’une richesse incroyable et entrecoupée d’extraits de films, de reportages, d’interviews ou de musiques toujours en lien avec les sujets évoqués.
J’aimais beaucoup écouter Patrice Gélinet, ça me rappelait mon super prof d’histoire du collège qui avait aussi ce dont pour raconter des histoires et passionner la classe avec des anecdotes introuvables dans les livres d’école. Depuis 2011, 2000 ans d’histoire est devenue La marche de l’histoire, présentée par Jean Lebrun sur le même créneau horaire.
Je me rappelle aussi avoir eu souvent le sourir l’été en écoutant l’Afrique enchantée animée par Soro Solo. Une émission musicale qui nous emmenait sur le continent africain avec des reportages, des témoignages d’artistes et des reportages hauts en couleurs portés par la voix drôle et pleine de vie de Soro Solo. Le journaliste anime ajourd’hui l’Afrique en Solo le dimanche soir à 22h, un moment de détente à savourer avant la reprise de la semaine.
Et maintenant…
Si je devais citer une voix et une émission qui me font vibrer aujourd’hui, je dirais sans hésiter Eva Bester et son Remède à la mélancolie, proposé tous les dimanches matin à 10h sur France Inter. La journaliste propose à des personnalités du monde des arts (artistes, écrivains, acteurs, musiciens, humoristes…) de partager leurs propres remèdes à la mélancolie…
L’invité doit toujours se plier à un petit exercice en début d’émission : exprimer avec seulement un son le bruit de son âme… S’en suit un échange rempli de douceur et de générosité avec la journaliste qui parvient avec magnificience à révéler la beauté intérieure de son interlocuteur. Essayez, vous serez conquis !
L’image est partout aujourd’hui. Lorsque je vois le succès de certaines applications mobiles comme Snapchat qui comptent plusieurs milliards de vues par jour, je me demande souvent avec inquiétude comment sera le monde de demain… Images et vidéos en continu, partout, tout le temps. Vitesse permanente, esprits saturés, épuisement…
J’ai lu ce matin un excellent billet de Weronika Zarachowicz sur le site de Télérama :Comment le monde actuel a privatisé le silence. Je vous invite à le lire. L’auteur introduit son article par cette citation du philosophe Pascal :
“Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre”
En attendant de développer votre pratique du repos en chambre, je vous invite à vous attarder d’avantage sur les mots et les sons qui nous entourent. Une voix, une musique, un livre, un article sur Medium, une émission de radio, le chant d’un oiseau, le bruit des vagues… Retrouvons un peu de sérénité dans ce monde où tout va trop vite.
L’autre soir il faisait déjà nuit depuis quelques heures lorsque j’arrivais chez moi. En sortant de la voiture, j’ai entendu le hululement d’une chouette. Vous ne pouvez pas savoir quel plaisir j’ai eu à ce moment là, en écoutant seul dans la nuit le chant si pur et si apaisant de cet oiseau nocturne…