Writer & Editor

Prisonnières

Dimanche 3 février 2019, 15h17, Paris, France. Elles sont deux. Je les entends ricaner derrière nous.

Sans m’arrêter, je jète un coup d’œil par dessus mon épaule. Elles ne me prêtent pas attention. D’ailleurs, elles ne semblent pas prêter attention à tout ce qui se passe autour d’elles.

Dans la quinzaine, peut-être plus. Prisonnières de l’autre monde, via ce smartphone dernier cri que l’une d’elles brandit à bout de bras tel un trophée.

Elles nous dépassent. La caméra est allumée, le mode selfie activé. Instagram ou Snapchat, à coup sûr. La fille de droite, celle qui filme, fait le pitre. Les deux amies rient fort, trop fort.

Je soupire. Ma main droite se ressert autour de la sienne. Elle pense la même chose que moi. Nous pressons le pas, repassons devant les deux ados et poursuivons notre promenade dans l’espoir de retrouver un peu de paix.


Au matin, nous avions aperçu par la baie vitrée un étrange bout de ciel bleu parmi les nuages, et la même envie nous avait traversé l’esprit.

Quelques kilomètres en voiture, un coin de nature pour se dégourdir les jambes et sentir le vent frais nous caresser le visage.

Nous ne nous attendions pas à apercevoir des cormorans flottant sur l’eau. Encore moins à croiser des prisonnières aussi jeunes et en liberté, là, parmi les arbres.

La prison des temps modernes tient dans une seule main. La jeunesse la porte à bout de bras, joyeuse et fière. Sans se douter de rien.

Mais que peut-on lui reprocher ? Elle qui n’a pas connu le monde d’avant et ne dispose pas du recul nécessaire pour comprendre ce qui est en train d’arriver.


Un peu plus loin sur le chemin, juste après avoir traversé le pont pour rejoindre l’île, je m’arrête en extase devant un couple de cygnes qui fait la sieste sur la berge.

Les deux oiseaux se tiennent sur une patte, la tête enfouie dans leurs plumes. C’est comme cela qu’ils dorment. Je les envierais presque.

Une colonie de mouettes vole au dessus des arbres. Le vent est de plus en plus glacial. Il est l’heure de rentrer se mettre au chaud.

Je repense aux deux gamines, déconnectées du réel.

Sont-elles vraiment libres ?

Et moi, suis-je devenu vieux ?

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.