Dans quelques jours, cette histoire ne sera plus qu’un lointain souvenir. Une histoire qui aura duré des dizaines d’années. Des années de bonheur, de doute, d’apprentissage, de tristesse aussi. Des années à se construire, à observer et à apprendre. Des années qui m’ont permis de devenir la personne que je suis aujourd’hui.
Lorsque l’on s’apprête à tourner une page, le moment est souvent difficile à passer. Même si l’on sait que cela arrivera un jour, on y est jamais vraiment préparé.
Des jours heureux
La maison de notre enfance, celle où nous avons poussé nos premiers cris. Celle où nous avons effectué nos premiers pas, tel un vrai petit bonhomme, fier comme tout sur ses deux jambes qui ne fléchissent plus, prêt à découvrir le monde. Une nouvelle aventure qui s’offre à lui, avec le soutien de ses parents et de sa grande soeur.
Derrière la maison, un grand jardin, de l’herbe, des fleurs, des arbres, des oiseaux, une cabane, une balançoire. Alors le petit bonhomme sort peu à peu de la maison pour s’aventurer dans ce petit coin de nature. Bientôt il grimpera aux arbres, surtout dans ce grand sapin qui sent bon et qui domine le fond du jardin.
Il a eu de la chance ce sapin, la tempête de 1999 l’aura juste fait pencher un peu sur le côté. Son voisin conifère n’aura pas eu la même chance, terminant son parcours découpé en rondins et brûlé dans un feu de cheminée. Je me souviendrai toute ma vie de cette nuit de décembre, les carreaux de ma fenêtre et le sol de ma chambre vibraient tellement le vent était fort.
Les années passent et puis on grandit, l’horizon s’élargit encore un peu plus avec le premier vélo offert à Noël. Viennent les sorties dans le village, puis un peu plus loin dans les champs alentours. Des après-midi entières à construire des cabanes dans les bois avec les copains. L’arrivée d’un petit chien vers l’âge de 12 ans, qui se joindra à toutes les aventures du petit bonhomme devenu un peu plus grand.
Et puis vient le jour des études supérieures, le départ de la maison familiale vers un nouveau chez soi en ville. Une nouvelle vie, des habitudes différentes, mais toujours ce plaisir immense de retrouver son environnement si cher les week-ends.
Les années défilent et puis les visites dans la maison de campagne se font un peu plus rares. Lorsque les occasions de retrouver la maison dans laquelle on a grandit et vécu tant de choses se présentent, le sentiment de bonheur est intact.
Elle est toujours là, comme si le temps n’avait pas d’incidence sur elle. Elle possède sa propre odeur, ses propres bruits, elle respire, elle vit elle aussi. Elle est rassurante et fidèle depuis toujours.
Et pourtant ce moment arrive, ce moment où l’on s’apprête à lui dire au revoir pour toujours…
Une séparation et un nouveau départ
Les choses de la vie font que parfois les belles histoires doivent malheureusement s’arrêter. On a eu beau y penser, s’y préparer au mieux, on est comme perdu au milieu d’un déluge d’émotions. On se met un peu trop à penser au passé, à toutes ces années où l’on a vécu entre les murs de cette maison et que les parents s’apprêtent à quitter définitivement.
Tous ces moments de vie que l’on va devoir ranger dans des petites boîtes dans un coin de notre tête. Et en attendant de pouvoir les ouvrir ces petites boîtes, ce sont les gros cartons qui nous attendent. Trente années de vie à trier et à ranger dans des cartons. Des souvenirs qui remontent sans cesse, des instants du passés qui nous retiennent et nous ramènent vingt ans en arrière.
Ces petites boîtes que l’on emporte dans un coin de notre tête seront en nous pour toujours, et il suffira de les ouvrir pour se souvenir. Oui mais. Des souvenirs seulement, des pensées. Rien de physique, rien de palpable. Plus rien à voir ni à toucher.
Une maison est un repère, un lieu auquel on fait référence et qui est emprunt d’émotions. Lorsque l’on est contraint de lui dire au revoir, c’est comme si l’on brisait ce lien, comme si l’on perdait ce repère. Vous savez à quel point les repères peuvent être importants, et combien on peut se retrouver totalement désorientés lorsque soudainement ils ne sont plus là.
Alors, pour éviter de trop sombrer dans la mélancolie, on essaye de se dire que finalement cette séparation est une belle occasion de penser d’avantage à ce que l’avenir nous réserve. On tente de se concentrer sur le présent, à cette chance que l’on a de vivre tout ce que l’on vit sur le moment.
On essaye de méditer plus souvent pour chasser le trop plein d’émotions et essayer d’appaiser son esprit. On tente de se persuader que le manque ne se fera pas trop sentir. Que les souvenirs des bons moments suffiront à surmonter l’épreuve.
Finalement, ce n’est qu’une étape de plus à franchir comme on en aura tout au long de notre vie. La vie n’est qu’une succession d’étapes, parfois heureuses, parfois malheureuses. Et nous n’avons pas le choix que de les vivre, pleinement.
Si je vous raconte cette histoire, c’est aussi pour réfléchir à l’importance que l’on attache au passé, aux objets et aux souvenirs. Quel regard porter sur le passé et les souvenirs ? Comment parvenir quelque temps après cette épreuve à ouvrir ces petites boîtes de souvenirs sans être envahi par la tristesse et les regrets ?
Et si la solution était de posséder le moins de choses possible ? Sans tomber dans le minimalisme absolu, je pense que l’une des clés pour que ces petites boîtes de souvenirs puissent rester légères et agréables, c’est de ne garder avec nous que l’essentiel.
Je ne dis pas bien sûr qu’il ne faut pas se constuire un chez soi confortable et dans lequel on se sent bien. Mais je pense qu’il faut essayer le plus possible de ne pas trop s’encombrer l’esprit avec des objets qui nous ramènent trop souvent dans le passé. Apprendre à avoir un certain recul avec les biens matériels.
Ma soeur l’a parfaitement compris. Lorsque je me tenais face à elle l’autre jour, lui demandant ce qu’elle voulait faire de ce joli coussin bleu décoré d’un éléphant doré qu’elle avait ramené d’un voyage en Thaïlande :
– Tu le récupère ton coussin ? Tu veux en faire quoi ?
– Euh non, merci.
– Ah bon t’es sûr ? Il est sympa pourtant, c’était pas le coussin que tu avais ramené de Thaïlande ? C’est un bon souvenir pourtant.
– Oui, j’en suis sûr. Les souvenirs, ils sont dans ma tête.
Je pense que ma soeur garde un excellent souvenir de son voyage en Thaïlande.
Mais elle a aussi décidé que les petites boîtes de souvenirs qu’elle garderait en elle seraient légères et plus faciles à ouvrir et à refermer…
Dans quelques jours, une page se tournera. Et je crois que pour ce dernier jour, j’irai m’assoir un peu sous ce magnifique chêne que j’ai vu grandir pendant ces trente longues années.